La salle du trône

Le Prince-Padishah se leva de son trône et alla vers Shivana, une faveur qu'il accordait rarement aux personnes qu'il recevait. Mézénas et la CSH avaient entretenu des liens très forts du temps de Paul Pathyne, Shaddam soupçonnait d'ailleurs son père d'avoir eu un faible pour celle qui était encore l'InterParesse de la Confédération. Et le souverain souhaitait que ces liens privilégiés se poursuivent sous son règne, même si constitutionnellement, les Affaires étrangères étaient le domaine réservé du Chancelier Fédéral.

"Franchement, je ne vois pas ce que mon père pouvait lui trouver", se dit Shaddam en lui tendant les deux mains. Il prit ensuite celles de Shivana dans les siennes en un geste qui se voulait chaleureux.


Shaddam IV : Madame, c'est une joie de vous rencontrer enfin ! Mon père vous tenait en haute estime et vous considérait comme une des grandes personnalités politiques du micromonde !

Shivana Pal, dans le vestibule, avait pris un soin élégant à retirer le Ruban scanthélois du Mérite étranger qu'elle portait sur le revers de sa veste.

Les Mézènes ne saisiraient probablement aucunement le geste, mais le retrait de son ruban national scanthélois devant une telle personnalité était en réalité une faveur énorme impliquant des notions de respect et d'humilité qualifiant la Fierté nationale scanthéloise. Là où dans les autres pays on montrait ses titres, l'inverse scanthélois pouvait détonner mais celui qui connaissait les subtilités du pays nordique savait que plus la simplicité était de mise, plus le respect était sincère.

Une fois la discussion commencée, elle était un peu étonnée de ce rapprochement si soudain par le Prince-Padishah, alors qu'on lui avait bien signifié de tenir distance raisonnable. Elle s'en accoutuma parfaitement, habituée à côtoyer tant les Cheffes et Chefs d'États que les Peuples des divers pays de l'Archipel qu'elle avait rencontrés maintes fois pendant ses très longs mandats consécutifs à la fonction d'InterPares qu'elle n'occupait plus depuis quelques semaines, occupant désormais la Chefferie des Affaires Étrangères ainsi que la Vice-InterPares. Les us et coutumes protocolaires scanthéloises étaient tant différentes puisque l'apostrophe suivi d'un tutoiement de l'InterPares par un citoyen scanthélois en pleine rue était l'habitude et signe de grand respect en contrée nordique, Shivana se dit que ce cérémonial mézène était la preuve même que des pays si différents en tout point pouvaient toutefois parfaitement travailler conjointement et en bonne intelligence amicale.

Elle poursuivit alors la discussion avec son interlocuteur en respectant scrupuleusement les consignes reçues la journée d'avant:

- Votre Majesté, c'est un très grand honneur que vous faites au Très Honorable Souverain Peuple Scanthélois en me recevant à Kaïtaïn. J'ai reçu votre invitation lors d'une remise à votre émissaire de Médailles et d'Insignes confectionnés par le Centre Micromondival de Vexillologie et ce, de façon indépendante de la Table Ronde.

Aussi, permettez-moi humblement que je revête mes habits de Cheffe du DSHAE un court instant en usant de cette rencontre afin de vous délivrer un message de Paix et de Fraternité de la part de l'InterPares Erika Lapsen et de la Table Ronde par ordre du Très Honorable Souverain Peuple Scanthélois à Votre Majesté et à votre Peuple.

Nos peuples fraternisent depuis de longues années dans différents champs d'action tant par bilatéralisme que par la Ligue des États Modernes. La Table Ronde est particulièrement satisfaite des échanges réguliers officiels et officieux entre nos deux pays.

Aussi, invitée sans explication particulière par votre émissaire lors de la remise des Insignes de l'Ordre du Sanglier Mézène à Aarosia, me voici devant Votre Majesté.

Ça n'était pas uniquement par souci du protocole que l'on exigeait que l'on restât à distance de Sa Majesté Sacrée, mais également par mesure de sécurité. De ce fait, il n'était pas contradictoire que le Prince-Padishah décide de s'approcher lui-même de son hôte, cela était un signe qu'il avait entière confiance dans la personne qu'il recevait. Les Sarraudar Royaux ne devaient guère apprécier que leur souverain et Commandant en chef ne fasse pas grand cas de sa propre sécurité et cela les rendait sans doute nerveux, mais en tout cas, ils n'en montraient rien.


Shaddam IV : Madame, je souhaite que vous adressiez à votre tour au Très Honorable Souverain Peuple Scanthélois le même message de paix et de fraternité de la part du peuple mézène et de moi-même. Mais aujourd'hui, ça n'est pas la DSHAE que j'ai désiré recevoir, c'est la directrice du Centre Micromondial de Vexillologie.

Depuis la naissance des États Fédérés, le CMV a doté notre pays d'un drapeau, de nombreuses armoiries et de logos d'entreprise en tout genre et dernièrement, il a également dessiné les médailles de l'Ordre du Sanglier Mézène, et toujours avec un sérieux et un professionnalisme sans faille, parfois supportant avec patience l'imprécision de certaines demandes.

Il était donc normal qu'aujourd'hui, vous receviez une juste récompense pour ce travail dont nous n'avons jamais eu à nous plaindre.

Madame Shivana Pal, pour vos mérites, pour vos services et pour votre dévouement, pour avoir contribué au rayonnement des États Fédérés de Mézénas dans le micromonde en leur apportant une plus grande visibilité, nous avons le plaisir de vous décerner le titre de Citoyenne d'honneur de Kaïtaïn et des États Fédérés de Mézénas.


Le souverain accrocha la médaille sur le revers de la veste de Shivana puis il lui donna une accolade, comme le veut l'usage en pareille occasion.




Shaddam IV : Désormais, vous bénéficierez gratuitement et à l'année de la Suite Royale au Grand Hôtel Excelsis de Kaïtaïn. Vous pourrez venir y séjourner quand vous le désirez, pour vos visites officielles ou moins officielles et vous recevrez toujours le meilleur accueil.

Cette distinction est bien peu de choses comparé à tout ce que vous avez fait pour notre pays. Nous vous remercions. Toutes mes félicitations !

"Ravissante, tout simplement ravissante.", se dit le souverain. "En comparaison, mes concubines sont tellement... quelconques ! Je me demande si je pourrais lui proposer de rejoindre mon harem... Allons, allons, un peu de sérieux, Faÿkan, voilà que tu parles comme feu ton père !" Lorsqu'il se parlait à lui-même, le Prince-Padishah s'appelait par son prénom de naissance.


Shaddam IV : Madame, c'est avec joie que nous vous accueillons en notre Palais ! Avez-vous fait bon voyage ?

Princesse Marie Moutawa : Merci de me recevoir Votre Majesté. J'ai fais un très bon voyage jusqu'à ce que je m'égare en vos Palais, ils sont si vastes Votre majesté. Je vous présente mes excuses pour ce retard. Je souhaiterais vous remettre ces documents signés de la main de l'Empereur du Gwangua m'autorisant à me présenter devant vous et à vous demander humblement l’accréditation d'ambassadrice du Gwangua en vos Etats.

Les lettres de créance furent apportées au souverain par un des Sarraudar Royaux. Le document ne contenait que des platitudes, mais il n'était pas nécessaire qu'il en soit autrement.

C'était un document officiel, il faisait de la jeune femme l'ambassadrice de son pays et le Prince-Padishah n'en demandait pas plus.


Shaddam IV : Je suis ravi que vous ayez fini par retrouver votre chemin et à venir jusqu'ici. J'accepte vos lettres de créance et il ne vous reste plus qu'à rejoindre le bâtiment que nous avons réservé pour vous.

Je vais vous faire accompagner.



L'entretien était terminé. Un serviteur prit en charge la jeune femme, elle monta dans un véhicule qui l'amena jusqu'au Quartier des ambassades.

Georges Bourseau arriva dans la salle du trône. C'était la deuxième fois qu'il se retrouvait en ce lieu, il y a presque 3 ans jour pour jour, il avait été nommé Ambassadeur des États Fédérés en Francovie et avait reçu ses lettres de créances de la main de Paul Pathyne. À l'époque, le modeste fonctionnaire qu'il était avait vu cette nomination comme un immense privilège et il en avait été honoré.

Aujourd'hui, il lui avait été demandé de se présenter devant Shaddam IV. Il se surprit à porter un oeil critique sur le souverain. Selon lui, il n'avait rien de la stature impressionnante de son défunt père. Cependant, Shaddam IV était tout de même le Prince-Padishah, d'un geste de la main il pouvait faire exécuter n'importe qui dans tout le royaume - la plupart du temps, c'est son ami Ferhig qui se chargeait de cette tâche dans laquelle, parait-il, il prenait beaucoup de plaisir.

Connaissant les usages de la Cour, Bourseau attendit que le souverain prenne la parole en premier. Derrière le trône, la Diseuse de Vérité Irène Laïus Molham, véritable détecteur de mensonges, observait le petit fonctionnaire.


Shaddam IV : Monsieur Bourseau, on m'a dit que vous avez fait un excellent travail lorsque vous étiez en Francovie.

Georges Bourseau : J'ai fait tout mon possible pour être digne de cette tâche, Votre Majesté.

Shaddam IV : Et je sais que vous serez à nouveau digne de cette autre tâche que je vais vous confier. Vous allez partir loin, très loin, dans le continent Nord. Je vous nomme Ambassadeur de États Fédérés au Royaume du Kolozistan.

Georges Bourseau : Je suis honoré par cette nouvelle marque de confiance, Votre Majesté.

Shaddam IV : Vous partez dès aujourd'hui, un avion vous attend à l'aéroport de Kaïtaïn. Vous pouvez disposer.


Bourseau saisit les lettres de créances qu'on lui tendait, s'inclina puis quitta la salle du trône.

Lorsque le jeune Léopold Richèse, fils de feu le Comte Alban, avait délaissé le fief-siridar de Saguenay dont il avait hérité la charge, le Prince-Padishah Paul Pathyne avait nommé à sa place Elrood IX, mais ce dernier avait mystérieusement disparu quelque temps plus tard. Un fonctionnaire avait alors été désigné pour administrer Saguenay puis, à la demande de Shaddam IV, on s'était mis à la recherche d'un héritier des Richèse. Plusieurs pistes furent explorées, certaines menant jusqu'en Édoran et au Zollernberg. Mais à la suite de l'ouverture des relations avec le Kolozistan, on découvrit une jeune femme, du nom de Natasha Richieszka. La ressemblance avec le vieux Comte Alban était assez frappante et son nom pouvait être une déformation du nom de Richèse. Après un test ADN il n'y eut plus aucun doute et dans des archives poussiéreuses, on découvrit la preuve que Natasha Richieszka était la descendante d'un Richèse parti s'installer dans le continent nord plusieurs siècles auparavant.

Et aujourd'hui, suivant un cérémonial bien établi, elle allait recevoir des mains de Shaddam IV le fief-siridar de Saguenay et le titre de Comtesse. L'ensemble des familles nobles de Mézénas s'étaient rassemblées dans la Salle du Trône pour assister à cet événement, car bientôt le Landsraad compterait une Maison de plus.

La jeune femme se présenta puis, après s'être approchée du trône jusqu'à un point qu'on lui avait désigné, elle posa un genou à terre, inclinant la tête en signe de respect envers son suzerain, le Prince-Padishah. Ce dernier prononça alors les paroles rituelles.


Shaddam IV : Nous, Shaddam IV, Prince-Padishah des États Fédérés de Mézénas, Prince de la Ligue des Nobles et Grand Patriarche du Landsraad, en ce 23e jour du mois de juin, de l'an de Saint Sevan deux mille et vingt, offrons à Natasha, Olga, Severina, le fief-siridar de Saguenay et plaçons en elle Notre foi et Notre confiance, pour qu'elle l'administre avec sagesse. Et de plus, en ce jour Nous la faisons Comtesse, souveraine et Notre vassale, et que ce titre, ces droits et ces privilèges soient transmis de génération en génération, à ses descendants, ses enfants et aux enfants de ses enfants. (lui tendant la main) Relevez-vous, Comtesse Natasha Richèse, vous voici membre du Lansdsraad !

Natasha Richèse : Cool ! J'espère que vous avez prévu un buffet ! Parce que, passez-moi l'expression, mais là, je vous avoue que j'ai un peu les crocs !


Après un bref moment de flottement, le Prince-Padishah partit dans un immense éclat de rire ! Rien ne lui faisait plus plaisir que de lire la consternation et la stupeur dans le visage des nobles assemblés dans la Salle du Trône ! Il nota cependant le petit sourire en coin du jeune Comte Rhombur et de son ami le Duc Léto.


Shaddam IV : Soyez rassurée, Comtesse, un buffet nous attend. Dites-moi, avez-vous déjà fait du bateau à voile ? J'ai une proposition à vous faire...

Shaddam IV : Madame, nous vous souhaitons la bienvenue à Mézénas ! Je vois que vous avez avec vous vos lettres de créances (il donne l'ordre à un Sarraudar Royal de lui apporter le document et commence à le lire d'un oeil distrait). Avez-vous fait bon voyage ?

Ayah Niang renouvela une révérence avant de répondre à Sa Majesté Shaddam IV.

Ayah Niang : Votre Majesté, merci d'avoir accepté de me recevoir. Mon voyage fut très agréable et je remercie vos sujets pour leur courtoisie. Je me dois tout d'abord de vous transmettre les excuses de la Princesse Marie Moutawa qui a dut quitter sa charge précipitamment pour des raisons personnelles. La Princesse vous transmets par ailleurs ses remerciements pour la présence de Hubert de la Plagne, ambassadeur de vos États en Empire du Gwangua, à son mariage en la Grande Gwosqué de Sogol.
Comme les lettres de créances que votre Sarraudar Royal vous a présenté le précisent, je tiens à souligner le fait que je suis ici représentante diplomatique de l'Empereur du Gwangua et non pas soumises aux ordres de mon frère. Celui-ci est certes le Commandant de la Garde Impériale et donc des Services Secrets Militaires Gwanguamas, je n'ai jamais été membre de cette organisation comme ces documents le certifient.

Shaddam IV : Fort bien, fort bien. J'accepte vos lettres de créance et vous pouvez donc prendre possession du bâtiment qui abrite votre Ambassade.

Je dois auparavant vous dire ceci : le gouvernement mézène a proposé l'ouverture des relations économiques au gouvernement gwanguama à deux reprises, mais comme personne n'y a répondu favorablement, ces deux demandes consécutives ont expiré. Dans ces conditions, vous voudrez bien dire à votre gouvernement que dorénavant, il lui appartient de faire le premier pas s'il souhaite ouvrir des relations économiques.



Le souverain se tourna alors vers un valet en livrée et d'un geste, lui demanda de lui apporter un verre de vin pétillant de Cardolane. C'était le signe que l'entretien était terminé.

Quand le diplomate entra dans la salle, Shaddam n'était pas assis sur le Trône où il siégeait normalement lorsqu'il recevait des émissaires étrangers, les chefs des Maisons, Majeures ou Mineures, qui étaient ses vassaux ou les plus humbles de ses sujets lors des interminables séances de Doléances. Il se trouvait à proximité d'une des fenêtres de la Salle et discutait avec son plus proche conseiller et ami d'enfance, Hasimir Ferhig. Le souverain aperçut Finnbar Ó Dubhda et murmura à l'oreille de Ferhig. Le Maître-Assassin, l'homme des basses besognes, s'éclipsa aussitôt.

Shaddam ne rejoignit pas le Trône où il aurait dû s'assoir, protégé par son bouclier, sorte de champ de force qui repoussait tout projectile éventuel. Il se dirigea vers Ó Dubhda et lui tendit la main en signe de bienvenue. La désinvolture que montrait en cet instant le souverain pour sa propre sécurité ne plaisait guère à ses Sarraudar Royaux. Shaddam le savait et il s'en amusait.


Shaddam IV : Monsieur Finnbar Ó Dubhda, je vous souhaite la bienvenue à Kaïtaïn. Avez-vous fait bon voyage ?

Shaddam IV : L'une des choses qui font la réputation de Mézénas dans le Micromonde, c'est sa gastronomie ! Vous vous en rendrez compte lorsque vous y aurez goûté !

Bien, je crois que vous avez des lettres de créances à me présenter. Ces documents administratifs ne sont guère captivants, mais les formes doivent être respectées.

- J'ai ouï dire que vous aimiez sublimer les papilles ! Je vous mentirais si je vous disais que je n'avais pas hâte de goûter vos mets, qui m'ont été décrits comme succulents.

Finnbar mit la main dans son veston pour en sortir une enveloppe cachetée. Il la transmit alors au Prince-Padishah.

- Les formes sont essentielles au fond, Votre Majesté. Voici mes lettres de créance, rédigées par Sa Majesté Rodan, en personne.

Sa Majesté Rodan,
Roi d'Eiraen

à

Sa Majesté Shaddam IV,
Prince-Padishah des États Fédérés de Mézénas

Votre Majesté,

Par la présente, je vous informe que j'ai décidé d'accréditer auprès de vous, Monsieur Finnbar Ó Dubhda, en qualité d'ambassadeur plénipotentiaire du Royaume Insulaire d'Eiraen.

J'ai pleine confiance en M. Ó Dubhda pour aider à satisfaire nos ambitions diplomatiques mutuelles. Son expérience auprès de moi-même lors de l'unification de mon pays en font une personne aguerrie et compétente. Je ne doute pas qu'il saura vous satisfaire également.

Par conséquent, je vous prie de bien vouloir lui accorder un accueil bienveillant et d'ajouter foi et créance à toutes les communications dont il vous fera part, au nom du Royaume Insulaire d'Eiraen.

Je vous en remercie sincèrement et je vous transmets toute mon amitié.

Que prospèrent nos deux pays !

Fait à Tealys,
Le vingt-et-un octobre de l'an deux-mille-vingt-et-un.

Shaddam IV : C'est parfait, j'accepte vos lettres de créances. Y a-t-il un sujet dont vous souhaiteriez parler avant de vous rendre à l'Ambassade ?

Shaddam IV : Rassurez votre souverain, à Mézénas, nous aimons les choses bien encadrées et il n'y a guère de risques que le roi Rodan commette un impair. Dès son arrivée il sera accueilli avec tous les honneurs dus à son rang et sera guidé tout au long des festivités. Quant au programme, c'est toujours la surprise, mais il y a des choses qui ne changent pas et le 31 octobre, jour de la fête nationale, nous aurons un match de subrugby et un diner au Palais au cours duquel le roi fera connaissance avec les principales familles nobles de Mézénas.