Au domicile de la famille Beknoun

La vente des cigarettes volées aux Van Dorrenn avait rapporté près de 15,000 M$ aux Beknoun.

A présent, il fallait faire fructifier cet argent, car ce ne serait probablement pas suffisant pour se lancer dans les affaires.




L'idée vint de Rachel et elle plut beaucoup à Maurice, car elle était assez osée !

Rachel connaissait un faussaire, du nom de Sarroyan, lui aussi d'origine hébraïte. Il était connu dans le milieu pour imiter à la perfection le style de plusieurs grands artistes contemporains.

Si les Beknoun étaient prêts à y mettre le prix, il saurait réaliser un faux en un temps relativement court. Là où résidait l'audace de l'idée de Rachel, c'est que le tableau serait ensuite vendu à un prix très élevé au Baron van Dorrenn, qui était un grand amateur d'art !


Maurice Beknoun : Vous voyez, ma petite Rachel, c'est dans ces moments-là que je me dis que mon David a eu raison de vous épouser ! Revendre à ce gros lochon gluant un tableau qu'on aura d'abord acheté avec son propre argent, c'est du génie ! Combien de temps ça prendra à Sarroyan pour réaliser son oeuvre ?

Rachel Beknoun : Je pense qu'avant la fin de la semaine, il devrait avoir fini.

Maurice Beknoun : Très bien, prenez contact avec lui et offrez-lui 5,000 M$. S'il demande plus, je vous autorise à monter jusqu'à 7,500, mais pas au-delà.

Maurice émergea lentement de la torpeur dans laquelle il était plongé depuis plusieurs semaines. Il avait apparemment contracté une méchante flémingite. Il détestait se sentir ainsi diminué. David, son fils ainé, arriva dans le bureau de son père.


David Beknoun : Vous allez bien, père ?

Maurice Beknoun : Aïe, j'ai une de ces migraines ! Oui, je vais bien, tiens, abruti, va ! Tu vois pas comment je pète la forme ? La purée de sa race maudite, je crois que j'ai chopé une bonne flémingite !

David Beknoun : Peut-être faudrait-il appeler un médecin...


Les docteurs de la prestigieuse école Suk étaient connus pour leurs grandes compétences, mais leurs tarifs étaient très élevés et leur avidité était légendaire.


Maurice Beknoun : Ma parole, tu veux ma ruine ou quoi ? Une seule visite de l'un de ces rapaces et il ne te restera plus rien en héritage, mon fils ! Je vais plutôt prendre des vitamines.


Maurice prit un grand verre d'eau et avala plusieurs vitamines. Mais cela ne lui rendit pas toute son énergie. À contrecœur, il demanda qu'on lui appelle un docteur Suk. Ce dernier allait lui prescrire un cocktail vitaminé qui finirait de le requinquer...

Les Beknoun allaient bientôt inaugurer leur pizzéria, dans le centre-ville de Kaïtaïn. Tout avait été prévu pour une ouverture dans les prochains jours. Simon s'était occupé de recruter du personnel et David avait été chargé de réceptionner les livraisons.

David entra sans frapper dans le bureau de son père. Il semblait très perturbé.


David Beknoun : Père, nous avons un gros problème.

Maurice Beknoun : Aïe, qu'est-ce que tu vas m'apprendre, encore ? Je m'attends au pire !

David Beknoun : Marcel Guédikian refuse de nous livrer, il prétend que nous lui avons fait un chèque sans provision.


Le vieil Hébraïte se leva, furieux ! Prétendre que lui, Maurice Beknoun, avait osé faire un chèque sans provision, c'était la pire des insultes ! Il n'aurait pas été plus en colère si on lui avait dit que sa mère avait des moeurs légères !


Maurice Beknoun : Moi, faire un chèque sans provision ? Mais il me prend pour qui, ce tronc de figuier ? Attends, je vais lui téléphoner, il va voir, un peu ! (il compose le numéro) Des chèques sans provision, la purée de sa race maudite ! (il attend encore) Allô, Guédikian ? Oui, c'est Maurice Beknoun. Dis, Guédikian, c'est quoi cette histoire de chèque sans provision ? Tu me prends pour un patos (1) ou quoi ? (...) Va, va, va, arrête tes salamalecs, dis plutôt que tu peux pas me livrer et que tu n'as pas envie de l'avouer ! (...) C'est ça, c'est ça, allez, va donc te faire voir chez les Skotinecs, la prochaine fois j'irai me livrer ailleurs ! (il raccroche) Il persiste à dire que le chèque a été refusé par la banque ! Sérieux, il se croit où, lui ?


Maurice commença à se ronger les ongles, ce qui chez lui n'était pas du tout bon signe. Par acquit de conscience, il contacta sa banque. A l'autre bout de la ligne, un employé du Crédit Mézène lui répondit très aimablement.

Et une fois qu'il eut expliqué qu'un de ses chèques avait été refusé alors que ses différents comptes étaient suffisamment approvisionnés, l'employé lui donna l'explication. Maurice fut à deux doigts de faire un infarctus.

Tous ses comptes étaient à sec.



(1) Patos est un terme péjoratif employé par les émigrés hébraïtes pour désigner les Mézènes.